« Mon maître de stage m’a plaqué contre le mur et frappé », « Ils m’ont jeté un torchon mouillé au visage en me disant : c’est toi l’esclave ! ». Ce sont des témoignages que j’ai lu récemment dans un article de presse sur Le Monde. En cuisine, les comportements ne sont pas très loin du système militaire : hiérarchie rigide, humiliations, et parfois même violences physiques.
Pourtant, elles ne devraient jamais être perçues comme faisant partie de la culture du métier. Cette brutalité est souvent perçue comme faisant partie intégrante du métier, une sorte de rite de passage qui prouverait la solidité des chefs et des commis. En outre, elle laisse derrière elle des cicatrices, visibles et invisibles. Les chefs et les restaurateurs ont un rôle clé à jouer pour changer cette dynamique toxique, en plaçant l’humain au centre de leurs préoccupations. En tant que leader, il est possible de créer des environnements où la passion pour la gastronomie et le respect mutuel cohabitent. C’est ce que je m’efforce de transmettre avec mon programme Bistrobiz, qui accompagne les restaurateurs vers un leadership bienveillant et constructif, et sans stress.
Par ailleurs, les jeunes recrues commencent à signaler ces abus de plus en plus fréquents. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi la cuisine, ce lieu de passion et de créativité, peut-elle parfois se transformer en un champ de bataille pour ceux qui y travaillent ?
Dans cet article, nous allons explorer cette réalité sombre, mais aussi mettre en lumière les actions et initiatives qui permettent de créer des environnements de travail plus sains.
Les différentes formes de violences en cuisine
Les humiliations en cuisine
Dans l’univers exigeant de la gastronomie, la rigueur et l’excellence sont essentielles en cuisine, mais doivent-elles nécessairement rimer avec l’humiliation ? Les cuisines françaises ont longtemps été le théâtre de violences verbales et physiques. Ce climat austère trouve ses racines dans un héritage de formation à la dure, où l’humiliation et les abus étaient souvent considérés comme un rite de passage pour se faire respecter.
Il n’est pas rare aujourd’hui de lire des récits de jeunes apprentis, même pas majeurs, subissant des violences quotidiennes. Des coups de poing, des brûlures volontaires, des insultes racistes ou encore des remarques sexistes sont monnaie courante dans certaines brigades. Ces abus sont souvent justifiés par une forme de sélection naturelle, visant à éliminer les « faibles » et à forger des cuisiniers résistants au stress.
Mais la violence, qu’elle soit physique ou verbale, marque durablement ces jeunes talents, en particulier les femmes victimes d’agressions sexuelles ou de harcèlement sexuel.
Le harcèlement sexuel en cuisine
Parmi ces violences, beaucoup de témoignages se rejoignent sur les humiliations subies, mais aussi le harcèlement sexuel concernant les femmes. Malheureusement, le sexisme reste un problème récurrent dans les cuisines françaises, et le mouvement #MeToo a mis en lumière l’ampleur de ce phénomène à partir de 2020. Des sous-entendus mal placés, des regards, des remarques, des blagues à connotations sexuelles et la liste est encore longue. Des situations angoissantes pour les femmes.
Les causes de ce sexisme se retrouvent dans l’histoire et les comportements sociologiques. Où les hommes en temps de guerre avaient l’habitude de cuisiner entre eux, et ont développé un univers machiste. Dans les années 50, alors que la femme avait le rôle de mère nourricière, son insertion professionnelle se retrouvait dans les postes les moins gradés, comme les entretiens ménagers. De plus, l’uniforme est un élément qui nourrit des fantasmes et évoque la soumission.
Aujourd’hui, la cuisine est calquée sur un modèle militaire, où les femmes se taisent, et où le féminisme n’est pas de rigueur. Les comportements sexistes sont donc devenus petit à petit la norme, ce qui a de lourdes conséquences aujourd’hui.
Cette atmosphère pesante peut pousser certains à abandonner leur passion pour la gastronomie, incapables de supporter toute cette pression et les abus quotidiens. Cette culture toxique à mi-chemin entre tradition et modernité, s’étend aussi au personnel de salle. Les serveurs et sommeliers sont aussi victimes de violences.
Les conséquences dévastatrices : santé mentale, turnover et réputation
Pour Elsa Laneyrie, psychologue du travail, les personnes qui font un métier passion se disent « je vais accepter les contraintes, même si elles peuvent avoir un impact sur ma santé ». Des comportements acceptés, qui seraient inacceptables dans d’autres environnements de travail.
Pourtant, ce genre de comportement peut avoir de lourdes conséquences psychologiques, mais est aussi un facteur de rotation du personnel dans la restauration. Aujourd’hui, avec les témoignages de plus en plus fréquents, il peut y avoir un impact sur la réputation des restaurants.
Des conséquences psychologiques
Les conséquences du harcèlement en cuisine sont bien réelles et peuvent laisser des traces durables. Parmi elles :
- Baisse de l’estime de soi : les humiliations répétées minent la confiance en soi et peuvent conduire à un sentiment d’inutilité profond. Les victimes peuvent se questionner sur leurs compétences et leur valeur, ce qui a un impact direct sur leur bien-être émotionnel.
- Stress chronique : un environnement toxique génère des troubles du sommeil, de l’irritabilité, des difficultés de concentration, maux de tête et troubles digestifs. C’est un cercle vicieux, car votre cuisine va s’en retrouver impacter et va perdre en productivité.
- Difficultés à apprendre : constamment jugé et dévalorisé, la peur de l’erreur et le manque de reconnaissance peuvent enlever l’envie d’apprendre et de se développer dans ce milieu.
Burn-out, anxiété, dépression… Quand on parle d’amour pour la cuisine, on oublie souvent le prix que certains paient pour rester dans ce milieu.
Un turnover qui coûte cher
Dans le secteur de la restauration, le taux de turnover moyen s’élève à 44 %, et la durée d’engagement moyenne est de 2 à 3 ans. Ce taux de rotation peut même s’élever jusqu’à 70 % dans le secteur HCR, alors que selon l’INSEE, le taux de rotation moyen en France est de 15 %.
Beaucoup quittent ce métier passionnant juste après quelques années. À force de maltraiter ses talents, le secteur se vide. De quoi se pencher sur le processus de recrutement, mais aussi le bien-être et la fidélisation des employés.
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Impact sur la réputation des restaurants
Les scandales finissent par éclater, les critiques s’accumulent, et les clients commencent à bouder. Votre restaurant a peut-être 5 étoiles, mais si la rumeur circule que le personnel y est maltraité c’est votre chiffre d’affaires qui en prend un coup.
À titre d’exemple, fin 2023, c’est d’ailleurs l’hôtel du Palais à Biarritz qui en a pris pour sa réputation. Une enquête pour agression sexuelle et violence a été classée sans suite. Mais son chef étoilé a tout de même été écarté des cuisines.
Les causes de ces comportements toxiques
Au-delà de l’impact sur le turnover et la réputation des établissements, ces violences, qu’elles soient physiques, verbales, ou sexistes, détruisent l’essence même de ce qui devrait être au cœur de la cuisine : l’humain. Créer un environnement basé sur la peur est non seulement destructeur pour les talents, mais il nuit également à la cohésion d’équipe, à la productivité et, in fine, à la qualité des plats.
La pression intense des services
En période de rush, les cuisines professionnelles sont des environnements où le temps presse. Vous le savez très bien, lorsque les commandes affluent, la moindre erreur peut impacter tout le service. Cette pression constante et l’atmosphère chargée provoquent naturellement des comportements qui peuvent devenir agressifs. Le moindre faux pas devient alors une occasion de critiquer ou d’humilier, créant ainsi une atmosphère de compétition et de méfiance.
Le modèle hiérarchique rigide
En effet, il y a une culture du pouvoir en cuisine, et le chef exerce une autorité incontestable, qui peut mener par des comportements abusifs. Certains chefs n’hésitent pas à utiliser des méthodes dégradantes pour obtenir des résultats. Toujours sur le modèle de l’armée. Un climat de peur et d’intimidation où les employés préfèrent se taire.
La culture de la souffrance acceptée
Un service de 12 heures d’affilée sans pause ? C’est vu comme une preuve de force, alors qu’en réalité, cela épuise mentalement mais aussi physiquement. Le secteur de la cuisine a longtemps été associé à une image de métier difficile et exigeant. En cuisine, les longues heures de travail, les horaires décalés et les pauses réduites au minimum sont souvent considérés comme des signes de dévouement et de passion.
En outre, d’autres facteurs s’ajoutent comme conséquence de ce comportement toxique :
- Le manque de personnel
- La pression de la clientèle
- Le manque de reconnaissance
Il est important de souligner qu’il existe tout de même des solutions pour créer des environnements de travail plus sains et plus respectueux. Ce portrait de la restauration n’a pas à être une norme, et il est possible que les employés mêlent bonheur, passion et épanouissement.
Lutter contre les violences en cuisine : des solutions pour un avenir meilleur
Heureusement, le paysage culinaire évolue. Une prise de conscience s’installe et les mentalités changent peu à peu. Face à la multiplication des scandales, de nombreux chefs s’élèvent désormais contre les abus qui perdurent dans les cuisines. Il est temps de mettre un terme à ce cercle vicieux, en adoptant des solutions concrètes pour transformer durablement cet environnement de travail.
Former à la gestion du stress les chefs et les managers
Être Chef, c’est adopter plusieurs casquettes dans le restaurant : cuisinier, gestionnaire, formateur etc. Le stress est bien présent et va se faire ressentir automatiquement sur son équipe. On peut tout de même être un grand chef sans crier sur son personnel. Des formations existent, encore faut-il que les professionnels aient la volonté de changer.
« Formez vos équipes, oui ! Mais avant… formez-vous vous-même. Cela va de soi. »
Parmi les causes de stress en cuisine, celles-ci reviennent le plus souvent :
- La gestion du temps et de l’environnement de travail
- Le manque de formation : la cuisine est un métier passion mais aussi un métier qui s’apprend
- L’hygiène de la cuisine
- La gestion des finances
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Changer la culture du leadership en cuisine
Thierry Marx, par exemple, milite pour des formations managériales et une reprise en main de la condition physique, pour intégrer un meilleur équilibre entre l’émotion et l’action. Cette approche permet non seulement d’améliorer les relations au sein de la brigade, mais aussi d’élever le niveau de performance dans la cuisine. Un chef qui sait motiver son équipe dans le respect et la bienveillance verra des résultats à la fois sur le plan humain et culinaire.
De plus, dans cette profession dominée par une culture ultra virile, la montée en puissance des femmes participe à cet équilibre entre tradition et modernité. Cette diversification des profils contribue à redéfinir la culture du travail en cuisine.
Certaines brigades l’ont bien compris : on peut gérer une équipe avec respect. Le résultat ? Des restaurants plus soudés, plus heureux et des plats encore meilleurs.
Les législations et protections légales
Dans le secteur de la restauration, les plaintes sont très basses. Il existe malgré tout des dispositifs, comme l’UMIH (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie », qui a mis en place depuis 2019 un dispositif afin de lutter contre le sexisme dans les entreprises de plus de 250 salariés.
Conclusion
Entre tradition et modernité, il est essentiel de reconnaître que les mentalités évoluent, et qu’il existe des solutions concrètes pour créer des cuisines respectueuses, exemptes de violences sexuelles et sexistes. Les restaurateurs doivent être des leaders capables de favoriser le bien-être de leurs équipes.
C’est ce que nous nous efforçons de transmettre au sein de notre accompagnement Bistrobiz. Et le plus important : ça marche ! Les restaurateurs qui ont adopté nos méthodes constatent des améliorations significatives, tant dans l’ambiance de travail que dans leurs résultats financiers !
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